Le cliché en littérature serait – paraît-il – l’un des ennemis de l’auteur confirmé. La tâche de ce dernier serait ainsi de le débusquer, et de s’en prémunir pour faire preuve d’originalité. Mais qu’est-ce que cache réellement le cliché ? Faut-il lui réellement l’éradiquer de ses textes ? Ou est-il possible d’en utiliser et à quelle condition ?
1/ Préambule,
Nous parlons évidemment du cliché en littérature, et non du cliché photographique. Le cliché en littérature étant bien évidemment issu du cliché en photographie. Et nous voyons ici le glissement sémantique, qui illustre bien le processus. Un instant unique pris sur le fait par un photographe est un cliché. Cela peut être un paysage, une scène de vie, ou n’importe quoi d’autre. Mais cela n’en fait pas pour autant un cliché. Ce n’est que sa reproduction à des centaines voire à des milliers d’exemplaires qui va le rendre cliché. Nous voyons par cet exemple comme le portrait unique d’une scène unique devient cliché à force de répétition.
2/ Définition du cliché
a) Définition générale du cliché.
Alors, qu’est-ce qu’un cliché ?
Le cliché est un poncif, un lieu commun.
Le mot cliché est même utilisé dans la langue anglaise, avec un petit accent. Pour une fois que nous avons réussi à exporter l’une de nos expressions qui ne trouvait pas son équivalent !
Le cliché est une idée ou une formule que l’on retrouve très souvent répétée dans les mêmes termes et qui est devenue banale, usée. (source wikipedia)
Comme on le voit, le terme de cliché s’applique aussi bien à une expression qu’à une idée. Pourtant, en fonction de l’un ou de l’autre, il faut reconnaître que cela ne recouvre pas tout à fait la même notion. Et que cela n’a pas du tout les mêmes conséquences.
b)Le cliché comme « une utilisation trop courante d’une expression ».
C’est le sens le plus courant du cliché. Qui reprend l’idée de reproduction à de nombreux exemplaires d’un mot ou d’une expression. Mais c’est bien le propre de la langue et des mots d’évoquer des choses précises.
Par exemple, le mot chaise me fait penser à une chaise, et plus précisément à une chaise en paille avec des montants en bois à cause de La Chaise de Vincent. Est-ce un cliché ? De même, le mot arbre, m’évoque un végétal avec un tronc et des branches et des feuilles au bout. Est-ce un cliché ? Dans ce cas, tous les mots de la langue française non utilisés dans un usage poétique seraient des clichés, dont il faudrait se prémunir. L’auteur n’est pas là pour réinventer la langue française, mais pour l’utiliser au mieux.
c) Le cliché comme stéréotype
Les clichés se cachent aussi dans les idées, sous forme d’a priori et de généralisations. Dire qu’un Asiatique a les yeux bridés est un cliché. D’ailleurs, toutes les généralisations raciales sont des clichés. Un autre cliché présent dans la littérature est par exemple de vouloir toujours expliquer les actes des tueurs et des psychopathes par le fait qu’ils aient été violés et battus pendant leur enfance. Cela en devient pénible. Ce n’est pas que cela ne peut pas être vrai, mais le fait de généraliser et de le prendre comme un fait acquis devient un cliché. Ce n’est pas qu’on ne peut pas l’utiliser, mais cela va être la manière de le faire et éventuellement de le détourner qui fera que ce sera un cliché ou non. Et c’est vrai que ce genre de clichés parsème la ‘mauvaise’ littérature. C’est d’ailleurs effectivement à cela qu’on la reconnaît, plus que dans l’utilisation de clichés sémantiques.
3/ Faut-il combattre le cliché ?
Nous allons analyser différemment le cas du cliché sémantique, de celui du stéréotype.
a) Faut-il bannir les expressions toutes faites ?
Le cliché peut permettre d’installer facilement et rapidement une ambiance. Sans forcément en faire des tonnes, ou utiliser des expressions trop recherchées. Prenons l’exemple de l’expression « ambiance feutrée », justement. Elle définit parfaitement ce genre d’ambiance où les sons ne raisonnent pas et les personnes ne parlent pas trop fort.
Je ne dis pas que l’on ne peut pas détourner les mots et inventer de nouvelles expressions, si elles apportent à notre narration. Mais pourquoi proscrire systématiquement ces expressions comme « rire aux éclats », « un temps de chien », « une fièvre de cheval » ? Quel intérêt de vouloir remplacer ces expressions par d’autres, plus recherchées, sous prétexte d’originalité ? Certains conseils littéraires proposent des techniques de brainstorming très pertinentes, mais surtout très coûteuses en temps, pour arriver à remplacer ces clichés .
Il paraît pertinent de se poser la question du bon usage des mots et des expressions que l’on utilise. Pour ma part je fais un usage immodéré du Dictionnaire des Synonymes afin de choisir le mot précis qui corresponde au cadre, à l’ambiance et au type de narration que je veux installer. Je m’oppose par contre à cette tendance de vouloir faire la chasse systématique aux clichés sémantiques. Si la langue et donc le lecteur l’a assimilé et le comprend facilement. Car elle ne me paraît pas intéressante ni justifiée. Dernier exemple, les expressions de couleur comme blond vénitien, jaune citron, vert cobalt, doivent-elles être combattues au titre qu’elles sont des clichés ? L’avantage au contraire de ces clichés est qu’ils sont parfaitement précis et codifiés. Vouloir les remplacer ne ferait qu’abaisser le niveau de précision de ces expressions.
b) Utiliser des stéréotypes au niveau des personnages et des situations ?
Je trouve nettement plus intéressant de combattre les clichés et les poncifs véhiculés au niveau des idées. Beaucoup plus sournois et parfois plus difficile à débusquer dans ses propres écrits, ils représentent à mon avis des cibles plus légitimes. Mais à doser en fonction de ce que l’on veut dire.
Par exemple, les personnages tombent facilement dans des stéréotypes, notamment pour la littérature de genre. Pour le roman policier, le personnage du commissaire ou de l’enquêteur repose souvent sur un stéréotype qui répond à la loi du genre. Faut-il pour autant l’éviter à tout prix ? Cela dépend ce que l’on recherche. Il est bon de se démarquer, mais à trop vouloir chercher l’originalité, on risque de perdre son lecteur.
Donc il faut doser ce que l’on considère important par rapport à notre histoire. D’autant plus que les stéréotypes sociétaux sont légion. C’est d’ailleurs là-dessus qu’est basée la société, sur des a priori. Il n’est donc pas possible de tous les remettre en cause de manière radicale. Mais il faut arriver à trouver un équilibre subtil pour ne pas rentrer non plus dans les poncifs.
c) Faut-il combattre systématiquement le cliché ?
Vouloir combattre systématiquement un cliché, et le faire toujours de la même manière, devient une posture un peu rigide. Par exemple, c’est maintenant devenu une habitude dans les publicités et les séries de présenter une personne de chaque origine ethnique. Faut-il pour autant avoir un Africain, un Asiatique, une Lesbienne, un Gay, un Bisexuel et un Transgenre dans chaque roman ? Cela deviendrait un peu cliché, non ?
4/ Comment se prémunir des stéréotypes :
Autant la guerre aux expressions toutes faites me paraît stérile, autant il me paraît important de combattre les stéréotypes et les a priori dans la littérature. Plusieurs méthodes et techniques vont permettre de ne pas tomber dans le stéréotype :
a) Se documenter
Si vous devez présenter une catégorie de personnages, un milieu, un pays que vous ne connaissez pas : documentez-vous ! Cela vous évitera de tomber dans le cliché. Et vous donnera nécessairement des idées que vous pourrez développer.
b) Creuser les personnages
Plus un personnage sera précis, fouillé et attachant, moins il sera cliché. Et surtout plus il sera attachant et crédible. Si le cliché de son personnage fait partie d’un tout fouillé et détaillé, le cliché deviendra flou et apparaîtra moins comme tel.
c) Se faire relire
Évidemment, débusquer les clichés chez les autres est relativement aisé. Mais mettre à jour ses propres travers de pensées et ses propres croyances relève d’un exercice plus difficile. Il est plus facile de voir la paille dans l’œil de son voisin, que la poutre dans le sien.(Évangile de Luc, 6, 41). C’est pourquoi il est indispensable de se faire lire et relire, pour avoir toujours un avis extérieur sur ce que l’on écrit.
4/ Détourner le cliché à son avantage
Au final, le cliché ne réside pas dans l’idée elle-même, mais dans la manière de la présenter et de la traiter. Tout cliché relève d’une généralisation. Si l’on veut s’éloigner de la généralisation et du cliché, il suffit d’être le plus précis et le plus spécifique possible. Ainsi, tout cliché traité de manière intelligente, fouillé, documenté, argumenté même, n’apparaîtra plus comme tel. Même si c’est un poncif au départ. Il me paraît donc possible de retourner les clichés pour les mettre à notre avantage. Car comme nous l’avons vu, vouloir éradiquer le cliché de manière systématique revient à en créer de nouveaux.
Alors utilisez-vous des clichés dans vos écrits ? Et l’assumez-vous ou cherchez-vous à les éradiquer ? Dites-le nous dans les commentaires.