24 avril 2024

Comment bien choisir son narrateur ?

Au début de l’écriture de votre roman, se pose inéluctablement la question des collaborateurs et des partenaires. Où trouver un bon éditeur ? Ai-je besoin d’un agent littéraire ? Qui incarnera le rôle de mon personnage principal dans l’adaptation cinématographique ? Mais les auteurs font rarement de casting pour leur narrateur. Et pour cause : le narrateur est un personnage fictif, qui n’appartient qu’au domaine de l’histoire. Et pourtant, le choix du narrateur reste essentiel. Car le point de vue donné à l’œuvre repose entièrement sur lui.

1/ Qui raconte l’histoire ?

a) Est-ce l’auteur qui raconte l’histoire ?

Quand on écrit un roman, on raconte une histoire… Car une histoire doit forcément être racontée. Et pour être racontée, il faut quelqu’un qui la raconte. Cela paraît évident. Mais qui raconte l’histoire ?

Il m’est arrivé de poser la question sur des forums, et j’ai eu cette réponse charmante : « Arrête de blaguer, c’est moi, bien sûr, qui raconte l’histoire ! ». Cette anecdote révèle la confusion manifeste qui existe bien souvent entre l’auteur et le narrateur. Donc, si vous ne voulez pas vous sentir stupide, sachez que non, l’auteur n’est pas le narrateur. Et il ne peut pas l’être. L’auteur est une personne physique en chair et en os. Le narrateur est la personne que choisit l’auteur pour raconter son histoire.

Le narrateur et l'auteur
L’auteur se dédouble pour écrire – Image par Stefan Keller de Pixabay

b) Le narrateur est toujours fictif

Mais si l’on prend un conteur, c’est bien lui qui raconte l’histoire, n’est-ce pas ? On pourrait croire que oui. Et c’est d’ailleurs tout l’art de celui qui écrit l’histoire, de faire croire que c’est lui qui la raconte. Encore mieux, s’il peut faire croire que c’est une histoire « vraie », qui lui est réellement arrivée, il emportera encore plus l’adhésion de son auditoire. D’où le succès des récits autobiographiques.

Vous remarquerez cette accroche récurrente des films à grand spectacle : « Ceci est une histoire vraie » ou « tiré d’une histoire vraie ». Bel oxymore. (Les humains raffolent des oxymores. Vous remarquerez comment ils les utilisent à tour de bras. Car les oxymores les confortent dans leur folie schizophrène.) Une histoire ne peut être vraie. Puisque l’histoire et la réalité n’appartiennent pas à la même sphère. Un film ou un roman appartiennent tous les deux au domaine de la fiction, de l’imaginaire, du rêve. Qui s’oppose par définition à la réalité. Mais on aime bien penser que c’est une histoire vraie.

Ainsi, la confusion est volontairement entretenue par ceux-là même qui créent et écrivent le récit. Car cela facilite l’identification du lecteur ou du spectateur. Mais ils savent parfaitement, ou en tout cas, ils sont censés savoir, que le narrateur reste un personnage fictif qui n’existe pas dans la réalité. Celui qui raconte l’histoire appartient à la dimension de l’histoire. Les histoires vraies n’existent pas. Tout comme il n’existe pas d’Histoire universelle. L’Histoire n’est qu’une histoire parmi d’autres, racontée depuis un certain point de vue, sur laquelle un certain nombre de personnes (les plus nombreuses ou les plus fortes) décident de se mettre d’accord.

c) Pourquoi choisir un narrateur ?

Je vais vous donner un exemple : une photographie sert de pièce à conviction dans une enquête policière. Comment allez-vous décrire cette image ? Si vous ne savez pas de quel point de vue vous vous placez et qui raconte l’histoire, vous ne pourrez pas répondre à la question. Et vous ne pourrez tout simplement pas écrire cette scène. Ou alors vous allez en adopter un sans le savoir, comme Monsieur Jourdain… qui faisait de la prose sans le savoir.

Le choix du narrateur fait donc partie des tous premiers choix narratifs. C’est un choix essentiel. Il permet tout d’abord de savoir comment l’histoire va être racontée et organisée. Ce choix doit donc intervenir dès les prémices, et bien avant de réaliser le plan ou le synopsis. Mais la question du narrateur va beaucoup plus loin. Car elle détermine tout le sens que l’on va donner à son histoire. Aussi bien en terme de signification, qu’en terme de direction donnée au récit. (Ce qui correspond aux deux sens du mot sens). En effet, le choix du narrateur induit directement sur le point de vue que l’on a, mais surtout que l’on donne à l’histoire.

2/ Comment choisir son narrateur ?

Tout comme la construction du personnage, le narrateur fait partie d’une décision de l’auteur. Il doit être l’objet d’un choix conscient et parfaitement assumé. Il permet de savoir comment on va raconter notre histoire. Mais aussi de déterminer son point de vue, et ce que l’on veut dire. Il peut même être construit et inventé comme un personnage, même s’il n’en est pas un. D’où l’importance également de savoir ce que l’on veut faire passer et du point de vue que l’on veut adopter. Les deux sont intimement liés.

Voyons les différents types de narrateurs couramment employés :

a) Le narrateur omniscient

Narrateur du point de vue de dieu
Narrateur du point de vue de dieu

L’un des premiers narrateurs possible est celui « qui sait tout ». Genre de démiurge omniscient, il connaît tout de l’histoire et de ce qui va arriver aux personnages. On l’appelle parfois le point de vue zéro, ou le point de vue de Dieu.

L’avantage de ce narrateur omniscient, c’est qu’il peut à lui tout seul raconter toute l’histoire. Puisqu’il en connaît tous les tenants et les aboutissants. Mais ce n’est pas pour autant qu’il n’a pas « de point de vue ». Car autant il a la possibilité de tout savoir, autant il ne peut pas tout dire en même temps. Il devra donc lui aussi faire des choix. Par exemple, à supposer que notre narrateur connaisse toutes les pensées, les intentions, les motivations de tous les personnages. Doit-il nous en faire part sans discrimination ? Cela risque de virer à la cacophonie.

L’usage le plus courant dans le cas du narrateur omniscient est de ne pas interférer avec les pensées des personnages. Et de ne rester qu’à ce qui est visible et factuel. Dans ce cas, l’auteur se limite à une approche extérieure et factuelle des faits, qui va avoir plus de mal à tenir compte des intentions et des motivations des personnages, autrement que parce qu’ils en laissent paraître.

b) Le narrateur personnage

Focalisation interne - Le narrateur-personnage Pixabay
Focalisation interne – Le narrateur-personnage – Image par Grae Dickason de Pixabay

Pour palier à cela, l’histoire peut adopter le point de vue de l’un des personnages. Ainsi, le lecteur pourra rentrer dans la tête du personnage. Il connaîtra précisément ses pensées, ses motivations et ses intentions. Ce qui aidera à le rendre plus proche et à mieux le connaître. C’est ce que l’on appelle parfois le point de vue subjectif. Il faut cependant être vigilant à ne pas rentrer dans un monologue intérieur qui sera vite lassant et ennuyeux pour le lecteur.

Un autre inconvénient réside dans le fait que le personnage n’est pas censé tout connaître de l’histoire. Il ne pourra donc raconter que ce dont il a connaissance. S’il n’est pas présent lors d’un événement, il faut qu’on lui raconte ce qui s’est passé pour qu’il en aie connaissance. Cela entraîne donc une contrainte dont il faut parfaitement avoir conscience.

Le narrateur personnage peut aussi bien être le personnage principal. Mais le narrateur personnage peut également être un personnage secondaire, témoin de l’histoire. Il peut accompagner le personnage principal, ou être complètement extérieur. C’est ce qu’on appelle la focalisation externe.

c) Les narrateurs multiples

Pour palier à ce genre d’inconvénient, il est parfaitement possible d’utiliser plusieurs narrateurs-personnages. Le point délicat réside dans le fait de bien faire comprendre au lecteur qui est en train de raconter l’histoire. Certains mettent le nom du narrateur au début du chapitre. Certains auteurs utilisent un narrateur différent à chaque chapitre. Ainsi Alain Damasio dans La horde du contrevent emploie utilise un langage et une graphie particulière. Il assigne même un sigle distinctif à chaque narrateur en début de paragraphe.

d) Mélanger les différents types et les différents niveaux de narration

Dans l’application, les choses ne sont pas aussi strictes que telles que décrites précédemment. En effet, un narrateur omniscient peut parfaitement s’intéresser à un personnage en particulier. Tout comme un narrateur-personnage, peut, par convention, raconter des parties de l’histoire auxquelles il n’a pas forcément assisté. Et dont on peut supposer qu’il a eu connaissance d’une manière ou d’une autre.

On peut même utiliser plusieurs narrateurs, mais plusieurs types de narrateurs dans le même ouvrage, comme le fait de manière magistrale Camus dans La Peste.

3/ Les conséquences du narrateur sur le point de vue narratif

Comme c’est le narrateur qui détermine le point de vue narratif, c’est de lui que va grandement découler le point de vue sur l’histoire. Qui n’est pas forcément celui de l’auteur, encore une fois, faisons bien la distinction. L’auteur n’est ni l’un de ses personnages, ni son narrateur. Même si quasiment tout le monde fait la confusion.

a) Le choix du mode narratif

Comme nous l’avons vu, le choix du narrateur va induire le mode narratif et l’utilisation du ‘je’ ou du ‘il’. Si le narrateur est le personnage principal, il va raconter son histoire principalement à la première personne du singulier. Si c’est un personnage extérieur, ou un narrateur omniscient, l’emploi le plus courant sera celui de la troisième personne du singulier. Mais cela ne veut pas dire que toutes les phrases seront à la première personne ou à la troisième personne du singulier. C’est juste un point du vue narratif qui va donner une indication générale quant au sujet, qu’il faut relativiser.

b) Le temps du récit

Évidemment, en fonction de sa position dans la temporalité, le narrateur va induire le temps du récit. En fonction de quand il raconte son récit. Il utilisera évidemment le passé ou le présent narratif si l’action est déjà arrivée, le présent si elle est en train de se faire, ou le futur s’il imagine un futur à venir.

c) La question de l’identification au personnage.

Comme nous l’avons vu avec l’identification au personnage, il est plus facile pour le lecteur de s’identifier avec un personnage qui raconte son histoire à la première personne du singulier. Mais encore une fois, cela n’a rien d’une obligation. Il peut y avoir autant de narrateurs possibles. Par contre, il est préférable d’avoir une trame narrative unique. Et par conséquent, se référer à un seul personnage principal.

5/ Le récit au-delà du narrateur

Nous avons abordé le premier point fondamental de ce qui constitue les choix narratifs. Ceux-ci sont bien évidemment, nettement plus complexes. Si vous voulez vous plongez plus avant dans les questions de narrations, vous pouvez réfléchir à ce qu’est une voix narrative. Ou même aborder la narratologie de Genette, relativement ardue.

Alors, est-ce que vous savez faire la distinction entre histoire, récit et narration ?

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