Le Zèbre d’Alexandre Jardin

Le zèbre est le deuxième roman d’Alexandre Jardin. Publié en 1988, ce livre a rencontré un certain succès et a obtenu le prix Fémina la même année. Retour sur ce livre qui a lancé la carrière d’Alexandre Jardin, fils du romancier Pascal Jardin, lui-même fils de Jean Jardin.

Genre : roman d’amour

Éditions : France Loisirs -1988

Résumé (pitch) de « Le Zèbre »

Après 15 ans de mariage, Gaspard Sauvage décide de partir à la reconquête de sa femme, Camille. Il va tenter de faire renaître la flamme de leurs débuts. Pour ce faire, il va déborder d’imagination et utiliser toutes sortes de subterfuges.

Les personnages de « Le Zèbre »

Gaspard Sauvage

Gaspard exerce la profession de notaire dans une petite ville aux environs de Laval, en Mayenne. Marié à Camille depuis plus de 15 ans, il constate que leur couple s’effondre. La passion de Camille n’est plus aussi vive qu’au premier jour, contrairement à la sienne, qui est toujours amoureux fou de sa femme. Voulant réveiller la flamme des premiers jours, Gaspard va tenter par tous les moyens de reconquérir le cœur de sa femme.

Camille Sauvage

Le personnage de Camille constitue le faire-valoir de Gaspard. Sa volonté reste faible au regard de celle de son mari. Elle se soumet à ses caprices, comme une femme soumise et obéissante. Elle reste pendant toute la durée du livre sous l’autorité et la coupe de son mari. Même quand ils font semblant de se séparer.

L’intrigue de Le zèbre

Comme le souligne lui-même l’auteur, le pitch du zèbre constitue une exception dans la littérature. Aucun auteur connu ne s’était jamais attaqué à ce challenge pour le moins déroutant. Donner pour objectif à un homme de séduire sa propre femme. Si l’idée peut séduire, elle se heurte cependant à un problème dramaturgique assez conséquent : comment mettre en scène un personnage qui désire ce qu’il a déjà ?

Car comme tout le monde le sait, on ne se rend compte de ce que l’on a que quand on est sur le point de le perdre.

C’est d’ailleurs un accident survenu à Camille qui va déclencher ce désir de reconquête de Gaspard. À savoir la peur de la perdre.

Gaspard va alors se lancer dans toutes sortes de manigances et de subterfuges. Mais comme nous sommes dans la bonne petite bourgeoisie de province, il est sous-entendu qu’il a des limites à ne pas franchir… qui d’ailleurs ne le seront pas : l’adultère et le divorce. Pour l’un comme pour l’autre, on a le droit d’y penser, mais pas de passer à l’acte.

Ce qui augmente la contrainte et le réduit d’autant le champ des possibilités.

Dans ce cadre relativement restreint, il ne reste plus énormément de possibilités :

– Soit « comme si » on ne se connaissait pas pour pouvoir rejouer le jeu de la séduction. Chaque personnage – mais surtout Gaspard, car Camille ne rentre pas vraiment dans le jeu – joue ainsi la comédie, dont l’issue est parfaitement connue pour le lecteur. L’enjeu devient donc sans importance. Et le lecteur se concentre sur la question de « comment va-t-il faire ? »

– Soit rompre le couple, de manière plus ou moins effective, pour pouvoir le reconstituer à nouveau, mais toujours de manière symbolique.

Alexandre Jardin va donc utiliser ces deux ressorts dramatiques pour tenter de rester le Prince Charmant de son épouse. Qui sont finalement des pirouettes dramaturgiques. Il pose une contrainte, qu’il s’empresse finalement contourner. Et pour cause !

Première partie : le double jeu du zèbre.

Pour se remettre dans les conditions émotionnelles du début, Gaspard va tenter de reconstituer leur première rencontre. Il jouera d’abord la scène avant d’emmener Camille dans les lieux mêmes où ils se sont rencontrés. Mais le jeu n’obtient pas les résultats escomptés. Gaspard fait alors mine d’avoir une maîtresse, tout en écrivant des lettres enflammées à sa femme. Cette dernière croit alors naïvement qu’elles proviennent de l’un de ses élèves. Sans imaginer une seconde que cela pourrait provenir de son mari. Peut-être parce qu’elle est persuadée que l’auteur de ces lettres est « un garçon récemment sorti des jupes de sa mère ».

Gaspard fait mine d’être au courant et d’avoir découvert cette correspondance licencieuce, qu’il déchire sous les yeux de Camille. Mais les lettres de cet inconnu, qui n’est évidemment que Gaspard, reprennent. Au point d’arriver à convaincre Camille de le rejoindre à l’hôtel. Ce qu’elle fait, ne se doutant pas une seule seconde qu’elle trompe son mari, avec lui-même ! Le comble du quiproquo !

Gaspard propose alors à Camille de faire chambre à part pour réveiller leur désir. Il tente ensuite de lui faire croire qu’il a une maîtresse, sans le faire réellement. Et enfin, il s’emploie à la dégoûter de vieillir comme un vieux couple, se mettant encore lui-même en scène dans le rôle du mari indifférent et négligent.

Deuxième partie : la rupture !

Devant l’expression de cette passion débordante, Camille finit par admettre que Gaspard a raison et que leur couple n’a effectivement aucun avenir. Elle prend ses affaires et part avec les enfants. Gaspard réagit alors vivement en tombant gravement malade. Tellement convaincu de son rôle, il va même jusqu’à inventer, synthétiser, contracter le cancer. Malgré cela, il trouvera la force et l’imagination de mettre en scène une rencontre fortuite et chaste dans un monastère. Cette « équipée romanesque » restera un des événements marquant de leur couple pour l’un comme pour l’autre !

Mais la rémission de Gaspard reste temporaire. Et la mort, inéluctable, vient l’enlever à son amour. Sans pour autant lui enlever son objectif.

Troisième partie : par-delà la mort.

Sans rentrer dans des histoires de revenants, Gaspard arrive par différents stratagèmes bien concrets à faire croire qu’il est encore vivant et à donner des signes de son amour à sa veuve.

Le style de « Le Zèbre »

La psychologie des personnages et le contexte social se trouvent réduits au minimum. Contrairement à de nombreux auteurs réalistes du XIXe siècle, auxquels Jardin semble faire allusion, tels Zola, Balzac, Flaubert et Stendhal. Loin des longues phrases et des longues descriptions de ce courant, le style est simple et efficace, sans recherche, mais sans grande originalité. Les expressions sont parfois vagues.

À titre d’exemple, quand durant leur formidable et surtout chaste aventure au monastère, Camille évoque ses « voluptés de l’âme dont parlent les romans du XIXe siècle » ? À quoi fait-il allusion ? On peut supposer qu’il s’agit de Stendhal auquel pense Jardin, puisqu’il le cite, ainsi que « le rouge et le noir » à plusieurs endroits du livre. Mais l’expression reste vague et imprécise. La littérature du XIXe siècle relève différents courants et de grands auteurs et ne se résume pas Sthendal. Pourquoi ne pas être plus précis ? Il aurait au moins pu citer Flaubert et Madame Bovary, dont la thématique se rapproche de la sienne. Cela aurait peut-être excité Camille. Alors ? Simple manque de culture ? Ou fausse modestie ? Ou parce que dans certains milieux, la culture est comme la confiture…

Les péripéties se succèdent sans véritable progression. Les personnages n’évoluent pas réellement entre le début à la fin de l’histoire. Qu’est-ce qu’ils ont appris ? Qu’est-ce qui a changé chez eux ? Difficile à dire. Et par conséquent, le lecteur reste lui aussi sur ce sentiment : « et alors ? »

La problématique du Prince Charmant.

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Si on voulait définir l’objectif du zèbre, on pourrait le reformuler ainsi : « demeurer éternellement le Prince Charmant de son épouse ».

Peut-on être le Prince Charmant de son épouse ?

Imaginer le Prince Charmant ou la Princesse peut faire rêver des adolescents ou des adultes immatures. Mais il faut bien reconnaître que ce charme se rompt à un moment donné. Tout comme l’image du Père Noël. Devenir adulte doit prendre en compte que ces deux images de notre enfance n’existent pas dans la réalité.

Mais comment s’opère cette transition ? La fin des contes de fées se termine inévitablement par : « Et ils vécurent heureux et ils eurent beaucoup d’enfants ». Si l’on peut admettre que la deuxième partie de la phrase se vérifie dans 90 % des cas, il faut bien admettre que la première ne se vérifie pas, elle aussi dans 90 % des cas. Et c’est là que réside le mensonge des contes de fées.

En effet, ce que ces contes de fées ne disent pas, mais sous-entendent clairement, c’est que derrière le terme « beaucoup » d’enfants, le passage à l’acte est inéluctable. Cela veut dire que la femme que l’on a eu tant de mal à courtiser, puis à épouser, il va bien falloir la baiser ! Pardon, « lui faire l’amour ». Ah! Qu’en termes galants ces choses-là sont mises ! [Molière, le Misanthrope, la suite vaut la peine d’être relue] Sans parler des conséquences de la naissance de ces enfants sur la relation du couple elle-même. Questions jamais abordées non plus dans les contes de fées.

Car il faut bien passer à l’acte !

Et c’est à partir de là que les choses se gâtent… pour les couples. Pas pour la société pour qui le conte de fée a joué son rôle : il a fait croire à tous les jeunes tourterelles et tourtereaux que le mariage était quelque chose d’extraordinaire et de mirobolant par lequel il fallait absolument passer. Et nous tombons tous dans le piège : celui de la continuation de l’espèce ! Et l’Église et l’état sont contents : de nouveaux petits esclaves vont bientôt être mis sur le marché !

À partir de là, le rêve commence à s’effondre, surtout pour la femme. Car nulle part, jamais, dans aucune littérature, on ne parle jamais de son plaisir et de sa satisfaction.

Et c’est là que le bât blesse ! Pour rendre sa femme heureuse, il faut bien comprendre qu’une des choses indispensables et de la faire jouir ! Mais ce propos reste encore tabou ! Alors contons lui fleurette encore pendant 15 années. Selon un sondage, 13 % des femmes n’ont jamais connu l’orgasme et pour les autres, combien de fois ont-elles eu cette chance ?

En fait, les passages où le zèbre passe à l’acte avec sa femme révèlent sa piètre qualité d’amant, et très probablement la raison première et définitive du manque « d’amour » de sa femme.

Ce soir-là, ils firent l’amour ; mais Camille se sentit seule dans les bras du Zèbre. Pour franchir le cap de l’orgasme, elle s’imagina possédée par Benjamin. »

à supposer qu’elle ait réellement « franchit le cap ». Puisque tout est raconté du point de vue de Gaspard, on peut en douter fortement.

Et si le problème du couple sauvage venait de là ?

Le seul moment où Camille semble prendre du plaisir se situe lors du passage à l’hôtel où Gaspard se cocufie lui-même en se faisant passer pour l’Inconnu :

Ils firent l’amour deux fois, d’une manière peu recommandée par les missionnaires. [Mais encore?] . Au prix d’acrobaties palpitantes et scabreuses, ils atteignirent l’un et l’autre les stratosphères du septième ciel [pléonasme] sans que Benjamen eut jamais pesé sur Camille [Camille pensait que l’un de ses élèves Benjamen lui écrivait ces fâmeuses lettres]. Le diable dut y prendre du plaisir.

Mais peut-être qu’il n’y a eu que lui. Car si ce sont ces « acrobaties » qui font monter Camille au septième ciel, je me permets d’avoir des doutes. N’aurait-il pas mieux valu d’utiliser des techniques plus sûres, comme par exemple l’excitation du clitoris ?

Et pour couronner le tout, au moment où Camille « retrouvait cette volupté de l’âme » quand il avait réussi à l’inviter dans une abbaye, la partie de jambes en l’air vire au fiasco total :

Dans le feu de l’action, Gaspard parvint à masquer sa grande faiblesse ; mais à la vérité, ses transports étaient peu contrefaits. Ses forces lui faisaient cruellement défaut. Par chance, étourdie de félicité, Camille ne s’aperçut de rien et, habilement, Gaspard mit la défaillance d’Horace [nom utilisé pour désigner le sexe de Gaspard] sur le compte de sa délicatesse. – Pas avant le mariage, Madame, murmura-t-il fort à propos.

Tout le livre est résumé dans cet extrait : l’impuissance de Gaspard à baiser sa femme, le soi-disant aveuglement de Camille, et la difficulté de l’auteur à nommer un chat, un chat. Que certains prennent cela pour de la poésie, je leur suggère de relire les lettres de Sand à Musset et réciproquement… même si elles sont très probablement contrefaites, elles aussi !

Que penser de « Le Zèbre » ?

La première lecture du Zèbre est plaisante. Le challenge en lui-même interpelle le lecteur, qui se demande « comment va-t-il s’en sortir ? » En pensant aussi bien au personnage du Zèbre, mais surtout à l’auteur. Alexandre se sort relativement bien de la gageure qu’il s’était imposé. Gaspard ressemble plus à un personnage de comédie, en se cocufiant lui-même ! Il en devient risible et touchant.

Mais Le zèbre ne résiste pas à une lecture approfondie. Le livre n’apporte rien de nouveau tant au niveau du style que du contenu. Cela se lit facilement. Mais surtout cela ne risque pas de choquer qui que ce soit. Car cela ne remet surtout pas en cause l’ordre établi, comme a pu le faire Madame Bovary à son époque. Si l’on trompe sa femme, cela ne reste évidemment qu’en pensée ! Il ne faudrait pas franchir le pas ! En un mot, ce n’est pas un ouvrage qui révolutionne la littérature !

Mais au fait, pourquoi « Le Zèbre » ?

En psychologie, le terme « zèbre » désigne aujourd’hui une personne surdouée et atypique. Probablement parce que l’animal lui-même reste difficile à définir et impossible à domestiquer. Ce terme a été utilisé dans les années 2000 par la psychologue Jeanne SIAUD-FACCHIN. Donc après la parution du livre d’Alexandre Jardin et sans référence à celui-ci.

Alors d’où vient ce terme de « Zèbre » ? Correspond-il réellement au personnage de Gaspard ? Qu’en pensez-vous ? Dites-le nous dans les commentaires.

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