5 octobre 2024

Gargantua de Rabelais

Les aventures de Gargantua constitue le deuxième roman écrit par Rabelais et fait suite à son Pantagruel publié en 1532. Littéralement intitulé : la vie très horrifique du grand Gargantua – père de Pantagruel. Jadis composé par M. Alcofribas, Abstracteur de quinte essence. Une fois passé les barrières de la langue, il est intéressant de voir le style et les préoccupations de Rabelais. Ainsi que la manière de raconter les aventures de son héros.

Genre : roman

Éditions : Folio -1965

Préface de Michel Butor

Résumé de Gargantua

La vie, la jeunesse, l’éducation, le mode de vie et la guerre pour défendre le territoire de son père constituent les principaux chapitres de l’histoire du géant imaginaire Gargantua.

Rabelais y mélange tous les genres et tous les styles. Allant du pamphlet à l’essai, du théâtre à la parodie, en passant par la fanfreluche et l’énigme. Le Gargantua relève à la fois de la parodie du roman de chevalerie.

Pour se mettre à l’abri des foudres de l’église, et certainement aussi pour se laisser plus de liberté, Rabelais choisit de mettre en scène un héros non seulement imaginaire, mais non-humain. Puisqu’il s’agit d’un géant. Mais pourtant, ses préoccupations sont les mêmes que celles de ses contemporains, et même, mis à part la guerre, restent parfaitement d’actualité aujourd’hui.

Gargantua dans son contexte

Gargantua a été imprimé en 1534. Il fait suite au Pantagruel écrit deux années plus tôt et raconte les aventures du père de ce dernier. Il est écrit en langue vulgaire, au sens de langue vernaculaire, c’est-à-dire la langue maternelle, par opposition au latin qui était appris à l’école. Il constitue un des premiers romans occidentaux, comme nous l’avons vu dans les genres littéraires. À cette époque, l’imprimerie prend son essor et permet de diffuser les ouvrages plus largement qu’au siècle précédent.

La langue de Rabelais

La langue de Rabelais n’est pas d’un abord facile, il faut bien le reconnaître. L’orthographe a beaucoup évolué, le ‘i’ a remplacé le ‘y’ dans de nombreux mots et particulièrement dans la conjugaison des verbes. De nombreux mots ont perdu leur terminaison comme avecque qui devient avec, ou les lettres ‘s’ et ‘e’ qui ont disparu de nombreux mots. Il faut déjà être bien entraîné en lecture rapide pour arriver à photographier les mots et ‘décoder’ ce premier niveau de langue.

Mais il existe également un glissement sémantique que seules les notes accompagnant l’ouvrage permettent de résoudre. D’autant que Rabelais utilise volontairement des mots de patois afin de perdre même son lecteur contemporain.

Pour terminer ce petit préambule sur la langue qui mériterait évidemment un plus long développement, il faut également noter que la tournure des phrases a elle aussi légèrement évolué, mais ce n’est pas ce qui pose le plus de problème pour la compréhension.

Le lecteur contemporain de Rabelais dispose donc de plusieurs options :

  • soit il s’arrête à tous les mots, et tente de reconstituer le sens précis de toutes les phrases, et la lecture devient hachée et très pénible,
  • soit il tente de saisir le sens général des phrases, et de laisse bercer par le rythme et lit Rabelais comme on lirait de la poésie, sans forcément comprendre le sens littéral de chaque phrase.
  • ou encore, il peut choisir choisir une édition édulcorée et traduite en français contemporain. Cela facilite évidemment la lecture, mais on en perd tout le sel. Or, le sel en alchimie représente l’un des principes fondamentaux.

Rabelais et son époque

Image par S. Hermann & F. Richter de Pixabay
Image par S. Hermann & F. Richter de Pixabay

L’Église catholique règne en maître et contrôle avec une grande obstination les faits et gestes de chacun. Comme le précise Michel Butor dans la préface, Jean de Cahors fut condamné au bûcher en 1532 pour avoir tenu des propos « suspectés d’hérésie ». Il fallait donc être particulièrement prudent dans ses propos et plus particulièrement dans ses écrits.

Les personnages de « Gargantua »

Gargantua

Gargantua est un géant bon vivant, dont on détaille les origines, l’enfance et l’éducation. Gargantua n’a pas réellement d’objectif avant le chapitre XXIX, soit vers la fin du roman. C’est à ce moment que Gargantua reçoit la lettre de son père Grandgousier qui lui demande de venir l’aider dans sa guerre contre Picrochole. Gargantua se caractérise bien comme le personnage principal, puisqu’il se trouve présent dans presque tous les chapitres.

Grandgousier

Père de Gargantua, se caractérise par sa bonne humeur et son appétence à boire et à manger.

Grandgousier estoit bon raillard (gai, compagnon) en son temps, aymant à boyre net autant que homme qui pour lors fust au monde, et mangeoit volontiers salé.

Nous retrouvons ici l’importance de boire et de manger, auquel Rabelais ajoute cette notion de « salé » à laquelle j’ai fait allusion.

Picrochole

Picrochole représente le seul antagoniste de cette histoire, puisqu’il vient pour piller les biens et les terres de Grandgousier.

Les thèmes de « Gargantua »

L’éducation

Toute la question de l’éducation de Gargantua fait l’objet de plusieurs chapitres. Rabelais, en tant qu’humaniste s’oppose à la vision scolastique de l’éducation, basée sur des savoirs abstraits. Il préconise au contraire une instruction basée sur l’élève qui doit s’approprier les savoirs. Vous trouverez plus de détails dans l’article sur l’instruction selon Rabelais.

La guerre

La guerre qui oppose Grandgousier et Gargantua à Picrochole occupe plus de 25 chapitres. Ce qui sur les 58 chapitres représente presque la moitié. Je ne détaillerai pas toutes les péripéties. Mais il est intéressant de noter que ce qui déclenche la guerre relève d’un élément futile et sans importance. Qui se trouve ensuite amplifié par la fierté de Picrochole. Grandgousier s’efforce autant que possible d’éviter cette guerre, en tentant d’apaiser Picrochole. Ce n’est qu’à partir du moment où il est certain que les velléités de ce dernier ne peuvent être arrêtées par la négociation qu’il va employer la force.

La religion

La religion fait partie des sujets récurrents de Gargantua. Mais Rabelais ne peut se permettre d’attaquer la religion, ni encore moins l’église. Mais c’est plus au travers des comportements de ses prêtres et de ses moines qu’il la stigmatise. Plusieurs chapitres sont d’ailleurs consacrés à la vision idéale de la vie des moines dans l’abbaye de Theleme. Où pour résumer, on pourrait dire que la règle principale serait l’absence de règles. Un peu comme pour l’éducation de Gargantua.

La sexualité

La sexualité est présente de manière crue et triviale. Et le jeune Gargantua ne manque pas d’exercer sa braguette sur ses gouvernantes, dans des ébats joyeux. Elle répond à un besoin de l’homme tout comme le boire et le manger, et aucune forme de tabou ni d’interdit, encore une fois, ne semble brider les élans du bracquemart de Gargantua.

L’alchimie et les messages cachés

Gargantua se positionne ouvertement comme un ouvrage alchimique, puisque l’auteur sous l’anagramme abrégé d’Alcofribas se présente comme un « abstracteur de quinte essence », ce qui désigne les alchimistes. Cela signifie que sous le sens premier et trivial se cache un deuxième sens qu’il s’agit de décoder.

À titre d’exemple, le fait de manger de bon appétit, peut évidemment être interprété dans son sens premier. Mais il ne faut être grand clerc pour comprendre que d’autres nourritures existent qui sont les nourritures spirituelles. D’ailleurs, l’eucharistie consiste en la communion dans le corps et le sang du Christ par le phénomène de transsubstantiation du pain et du vin. Ce phénomène surnaturel est la quintessence même de toute transformation alchimique. Elle va encore au-delà de transmuter du vil plomb en or, puisqu’elle transforme du pain en la chair même du divin. Tout chrétien en a parfaitement connaissance.

Mais c’est une des interprétations, l’autre étant, que le vouloir boire et manger serait à l’origine même du langage, puisqu’il constitue les premiers mots de l’enfant. Et qu’il conviendra ensuite qu’il mâche ses mots afin de bien réfléchir avant de parler.

Le style de Gargantua

De nombreux styles se côtoient et alternent dans Gargantua. Rabelais passe des vers à la prose, des propos sérieux aux dialogues paillards,alterne les récits de l’éducation de Gargantua avec le détail de ses tenues.

Mais si le style fait plus l’effet d’une patch-work, l’impression d’ensemble est au contraire un sens très structuré, mais évidemment caché.

Gargantua doit se lire à plusieurs niveaux de lecture. Car Rabelais ne peut se livrer directement à certaines critiques, par crainte de finir en prison ou d’être excommunié.

Que penser de Gargantua ?

En dehors du style qui est d’un abord difficile, Gargantua est évidemment un ouvrage hors normes. Difficile de le comparer avec d’autres ouvrages, même de la même époque ou approchant. Rien à voir avec les romans du Graal, ni avec le roman de la Rose.

Gargantua est d’une grande libéralité et alterne les propos triviaux et vulgaires, avec des réflexions sur l’éducation et la religion. Mais Rabelais ne se veut à aucun moment ni moralisateur, ni donneur de leçons.

Comme nous l’avons vu, Gargantua demande qu’on s’y attarde, et que l’on veuille bien chercher au-delà du sens premier. C’est ce qui constitue à la fois la difficulté, mais aussi l’intérêt de cette œuvre.

D’ailleurs, Gargantua constitue l’un de ses ouvrages phare de la littérature. Il a réussit à traversé les siècles, malgré son interdiction par la Sorbonne dont il a fait l’objet. Au point que le nom de son personnage est passé dans le langage courant. Le message qu’il transporte a su atteindre à la postérité par son universalité et sa profondeur, malgré sa trivialité apparente.

Tout le monde a entendu parler de Gargantua, mais en aviez-vous compris le sens caché et goûté tout le sel ? Dites-le nous dans les commentaires ?

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